L’accusation d’hérésie était un moyen de défense contre une certaine critique, directe ou indirecte, du relâchement du clergé, qui n’était pas sans fondement. Petrus Cantor, combattant les ordalies, donne justement l’exemple de pieuses femmes de Flandre, accusées d’avoir eu des relations avec les Cathares, ou simplement persécutées, parce qu’elles refusaient de consentir à ces faiblesses. Voir le cas d’Aleydis de Cambrai, réhabilité en quelque sorte par l’indignation générale, la condamnation de son juge et le souvenir que lui consacre Hadewijch. — Il semble que pour l’opinion populaire, comme pour les théologiens, l’ascétisme des spirituels et surtout leur prétention de trouver Dieu dans l’âme sans intermédiaire, ait provoqué des soupçons et créé des préjugés hostiles. Ce qui conduisit Jeanne d’Arc au bûcher, outre les haines politiques, fut le caractère immédiat de sa mission, reçue d’une autorité intérieure et qu’une autre instance serait tentée de mettre en question. Ce fut aussi la psychologie sans nuance du Moyen-Âge, pour qui l’extatique ne pouvait être que ministre de l’Esprit-saint ou suppôt de Satan. On sait que la thèse selon laquelle Jeanne aurait été tertiaire franciscaine s’appuie exclusivement sur le fait qu’un document contemporain (Chronique de Morosini, année 1429, éd. de la Sté d’Histoire de France, Paris, 1901, t. III, p. 92) la déclare expressément béguine. — Tout à l’inverse, le conflit que la sainte béguine Lydwine de Schiedam soutint avec son curé, dans la circonstance notamment où celui-ci refusa de traiter comme consacrée une hostie tombée du ciel entre les mains de la jeune fille, faillit se terminer tragiquement pour le prêtre, contre qui le peuple avait pris parti. — Pour juger avec équité de ces conflits et de certaines erreurs, il faut prendre conscience de la délicatesse du problème posé à chaque génération sous une forme nouvelle par le double caractère de l’Église : société d’âmes à qui Dieu est immédiatement présent, et société de personnes ordonnées dans une hiérarchie visible. Il faut qu’ici et là passe un même courant de grâce : que la volonté infidèle s’y oppose d’une part ou de l’autre, est un malheur, car la moindre faute à ce niveau élevé porte des conséquences incalculables, et c’est de siècle en siècle que nous suivons, dans la trame de l’histoire, la déchirure.