La musique arabe au début du XXe siècle


Au début de ce siècle, l’industrie du disque apparaît dans le monde arabe et plus particulièrement en Égypte. On situe généralement l’année 1904 et le chanteur Ahmad Hasanayn, comme un point de départ tangible à cet essort nouveau. Des écrivains français, comme George de la Fouchardière ou Roland Dorgelès, signalent a maintes occasions, l’emprise du phonographe et du pavillon de cuivre, aussitôt posé le pied sur le quai d’Alexandrie. Ailleurs, à Alger, le chanteur Muhammad Sfînja, décédé en 1905, est aussi à citer parmi les premiers musiciens ayant mis à profit cette invention révolutionnaire.

L’industrie du disque prolifère à grands pas. Elle est précédée à Bagdad, à Tunis et au Caire de cylindres, dont ceux de l’égyptien Abduh al-Hamûlî (1843-1901) dont quelques uns ont été repris, sur soixante-dix huit tours par la firme Méchian. Toutefois la démocratisation de l’art musical sera essentiellement liée à ce support, gravé pendant un certain temps sur une face, puis sur deux. Les productions sont d’abord réalisées acoustiquement : elles consistent à placer les musiciens face au pavillon qui capte directement la prestation. Les instrumentistes dépassent rarernent la formation du quatuor et jouent le plus souvent en soliste. Curieusement la présence du qânûn l’emporte. Ce nombre, loin d’ètre imposé par les conditions techniques, représente l’ensemble instrumental traditionnel dit takht. Des thuriféraires, en arrière-plan, entonnent la longue litanie d’exclamations qui a pour but de stimuler et d’encourager le musicien. Les artistes les plus choyés de l'époque prêtent leur concours à ce procédé nouveau qui accroit considérablement leur popularité et assied leur renommée. Des compagnies étrangères ont pignon sur rue en Égypte. Elles se nomment : Gramophone, Zonophon, Polyphon, Odéon, plus tardivement Columbia et Pathé, vite relayées par la concurrence nationale dont on retient les noms de : Sama al-mulûk (L'écoute des rois) et Baidaphon, d'origine libanaise, qui se taillera la part du lion... Tout ceci avant la prerniére guerre mondiale. D'autres métropoles s'équipent à leur tour et diffusent le soixante-dix huit tours : Alep, Bagdad, Beyrouth, Tunis… Ultérieurement, elles se lanceront dans la production.

Les artistes retenus par ces prestigieuses maisons relèvent presque tous de la musique savante. L’édition dispense également des marches militaires et quelques récitations coraniques. On rencontre peu ou prou de musique populaire autre que citadine. Afin de distinguer les musiciens et leur qualité artistique, une hiérarchie est adoptée en fonction de la couleur de l’étiquette : le rouge détermine souvent un artiste de première classe, donc au cachet plus élevé et par conséquent, à la vente plus onéreuse.
L’enregistrement s'eftectue dans des studios dirigés par des techniciens européens. Ceci favorise une diffusion du répertoire musical, tout comme les tournées d’artistes dans le monde ottoman ou arabe. On s'achemine vers un cosmopolitisme musical, auquel l’essor du disque n’est point étranger. Cet état d’esprit se reflète dans les Mémoires de Badî a Masâbnî, qui connût des heures de gloire entre 1920 et 1945, en tant que danseuse, comédienne et chanteuse au Caire. Cette native de Damas qui finit ses jours à Chtaura (Liban) rapporte à maintes reprises, sa surprise lors de son arrivée dans une ville, Tunis ou autre : elle croisait à longueur de journée des célébrités musicales quittées à l’étape précédente. Ces allées et venues avaient-elles une incidence sur la qualité et l’authenticité de la musique ? D'autres musiciens refusèrent de se laisser séduire par ce mode de préservation. Pour eux, la performance musicale, issue de l’instant, ne pouvait être exaltée que dans le moment : tout archivage devenait un sacrilège... L’éventail historique demeure donc inachevé, mais il a appartenu aux plus téméraires. La quantité d’enregistrements réalisés sur près de cinquante ans, est telle qu’elle permet néanmoins d’avoir une idée de ce qu’était la situation de la musique arabe à l’orée de ce siécle et à comprendre, par la suite, son évolution rapide.
Quelques réserves indispensables sont aussi à souligner. L’invention du phonographe, d’origine occidentale, a été mise au service de voix, dont la technique de tête permet de surgir impétueusement hors du pavillon : elle transcende ainsi le support. Lorsqu’on écoute les grands chanteurs arabes du début de ce siècle, cette particularité fait défaut. La voix arabe, généralement une voix de ventre, intériorisée, est desservie par les carences du pressage. D’où à l’audition, ce sentiment d’un art fluet. D’autre part, la notion de temps est amoindrie par l’apparition du soixante-dix huit tours. La musique savante, d’obédience modale, s’écoule par l’improvisation qui bouscule et réduit à néant toutes les contraintes quantifiables. La grande difficulté des musiciens sera donc de s’acclimater en un premier temps aux fatidiques trois minutes trente, approximativement la durée d’une face, puis aux sept minutes, si l’on ajoute le verso. Il faudra la génération suivante, celle du disque électrique (vers 1925) pour découvrir une réelle maîtrise du temps écourté. D’où ces formes mal-menées, rétrécies ou distendues, comme ces variations de tempi d’une face à l’autre ou ces improvisations inattendues qui surgissent à la fin d’un morceau trop court afin de meubler la durée impartie.
À ces quelques griefs, s’oppose une conception originale de la pratique musicale qui ne saurait être gommée, lorsqu’on envisage l’audition de cette époque non plus comme un moment esthétique, mais une composante de l’histoire. Ce qui surprend et bouleverse, s’avère bien l’économie des moyens: l’art musical arabe en ce début du siécle est un art austère qui se démarque foncièrernent des moyens prolifiques et outrecuidants de la musique actuelle. C'est aussi un art qui sépare peu le sacré du profane : à cet égard la qasida de Salama Higâzî détermine moins une courbe qui annonce Umm Kulthûm, qu’elle n’anticipe l’orientation suivie ultérieurement par le récitant de Coran Abd aI-Bâsit Abd al-Sa-mad. Ces pratiques musicales dévoilent aussi une esthétique de l’elliptique, suggérant davantage qu’elles ne permettent d’exposer.

S’y greffe en outre, un autre trait qui ne saurait passer inaperçu ; la notion de récurrence qui accorde au silence, une dimension grandiose, devenant espace de réflexion. Les réitérations nombreuses qui fondent l’accompagnement ou le jeu instrumental, comme par exemple le Bashraf Qarabatak, alimentent en exergue une inquiétude sous-jacente, sorte de qui-vive momentané s’apaisant en fin de parcours. La reprise dans le jeu d’éléments répétitifs est de plus rehaussée par l’absence de virtuosité gratuite. D’où cette émotion de l’attente, du temps suspendu qui confine à l’éternité, comme dans la qasîda de Abd al-Hayy Hilmî. Est-ce donc la raison qui pousse les chanteurs à se réfugier dans l’introspection ? La musique arabe, telle que ce disque compact la restitue, accréditerait-elle un retour à soi ? Une façon de vibrer avec l’éternité ? Quoi qu’il en soit, ce qui se dégage de ces voix d’outre-tombe, est une sorte d’ivresse. Une ivresse que seul l’art musical distille et qui, en dotant l’éloquence de sobriété, place l’expression sur le chemin de l’universel.
Muhyiddin Ba Yun (1868-1934)

lssu d’une vieille famille beyrouthine, Muhyiddîn Ba yûn fut compositeur, chanteur et luthiste ( ûd, tanbùr, buzuq). Son aptitude à l’improvisation, tout comme sa science des modulations, des transpositions et des rythmes en firent le créateur d’une véritable école. L’un des premiers artistes à revendiquer l’indépendance de l’instrument par rapport à la voix, il sut aussi populariser par ses chants la poésie moderne, tant littérale que dialectale. De nombreux enregistrements diffusèrent son répertoire, d’où est extrait ce taqsîm divisé en deux parties. La première emploie le style d’attaque du rashsh (littéralement : arrosage), mettant en valeur les deux double-cordes du tanbûr, instrument privilégié des théoriciens de la musique arabe.
Ba yûn systématise et développe ainsi l’enseignement de son maitre lbrâhîm Adham (vers 1855-1932), luthiste de Bagdad. La seconde partie, modulant en Sîkàh, dissèque les possibilités modales du Rasd dans un style plus traditionnel, toujours marqué par la sobriété et l’art de la nuance.
Muhammad Al-Ashiq (vers 1885-1925):

Interprète exquis de la tradition damascaine, Muhammad al-Ashiq mena une double carrière d’hymnode de confrérie et de chanteur profane. Trilles, glissandi, syncopes, trémolos, nasalisations, notes tenues, variations du grave à l’aigu, arabesques mélismatiques, surenchères des réitèrations : toute la palette des techniques vocales de la musique savante arabe est concentrée en un temps très court. Les réactions des musiciens et de l’auditoire du chanteur montrent en quoi cette agilité de la voix fonde le sentiment du tarab, l'extase musicale.

Yusuf Al-Manyalawi (1847-1911)

Vingt ans après sa mort, Yûsuf Khafâjî al-Manyalâwî figurait encore en tête du catalogue égyptien de Gramophone. L’étendue de son répertoire et sa collaboration avec les plus importants musiciens de la fin du XIXe siècle firent en effet de ce cairote, d’abord hymnode de confrérie, l’un des plus complexes interprètes de l’Ecole Khédiviale. Chanteur à la cour d’Ismaïl pacha et de Abd al-Hamîd II, il se distingua par la virtuosité de ses effets vocaux (talâ ub) et son emprise sur son auditoire. Une société de disques (Sama al-Mulûk) fut même spécialement fondée en 1908 pour l’enregistrer. Cette qasîda qu’il interprète avec ses musiciens attitrés fut l’un des plus grands succès du début du siècle, repris par Umm Kulthûm dans un enregistrement chez Odéon en 1931.

Ali Abd Al-Bari (1868-1936)

Disciple d’al-Manyalâwî, A1î Abd al-Bârî fut longtemps choriste (madhhabjî) dans son ensemble. Il prit sa succession et enregistra avec les mêmes musiciens les principales compositions de l’époque. Très nasalisée et traditionnelle en Égypte, sa technique vocale est mise au service du genre dawr. Celui-ci connut à la fin du XIXe siècle un succès croissant, dû au partage des rôles entre le chœur et le chanteur, l’un entonnant refrains et réponses, l’autre développant l’aspect spectaculaire de sa virtuosité, plus librement que dans d’autres genres et dans une langue plus accessible au public. La fixation définitive des règles du dawr et la qualité de ses interprètes contribuèrent à fonder la suprématie de la musique égyptienne dans les pays arabes.

Le Shaykh Ahmad Al-Shaykh (1863-1938)

Chantre de Damas et de Jaffa, le shaykh Ahmad al-Shaykh, issu d’une famille d’hymnodes, reçut une formation traditionnelle avant de s’intégrer à la troupe théâtrale d’Ahmad Abû Khalîl al-Qabbânî (1833-1903). Comme de nombreux musiciens syriens, il émigra en Égypte, où il mit sa pratique mélismatique au service de la poésie mystique et classique. Disciple d’un théoricien alchimiste et géomancien de la musique, l’imâm alépin Sâlih al-Jadhba (1858-1922), il fut aussi l’un des informateurs du père Collangettes, orientaliste et musicologue français.
Le mawwâl baghdâdî est un septain de vers, souvent à double entente, et à deux rimes homophones, dont l’invention est attribué par la tradition orale aux poètes populaires de Bagdad. Ici, l’inspiration ésotérique du texte renvoie au genre rituel de la munâjât. l’adresse intime d’un homme à Dieu.
Retour
Quelques raretés, en vrac, pour le plaisir...
Attention, RealPlayer est indispensable et les fichiers se chargent (de 1 à 10Mo)
Nusrat Fateh Ali Khan Mustt Mustt (QT 5Mo)
Farid el-Atrache Realvidéo : Awel_Hamsa_Taqsim (4.9Mo)
The Oum Kulthoum Ensemble Realvideo : Dor Yama Anta Wahishni (2.9Mo)
Trois raretés chantées par Oum Kulthoum. Ces trois chansons viennent du répertoire égyptien du 19e siècle, elles ont été enregistré vers 1940.
Ces trois adwar Dor furent composés et chantés par l’égyptien Muhammad Uthman (1855-1900), l’un des grands musiciens du XIXe siècle égyptien qui développa le Dor chanté. Repris ensuite par Sayed Darwish, Mohammad Abdel Wahab et d’autres.
1. Dor Kadni al Hawa (1.3Mo)

2. Dor Yama Anta Wahishni (2.9Mo)

3. Dor Asl El Gharam Nazrah (3Mo)
Adib Sha’ban. Adib (Realvidéo 3.6Mo), musicien classique, maître du maqams (modes musical arabe). En dix minutes d’improvisation, il passe par neuf maqams : Rast, Sikah, Huzam, Nawa Athar, Hijaz, Nahawand, Bayati, Ajam et Saba.
La vidéo date de novembre 2002, à Beirut
Sayed Darwish (1892-1923).
Dor Ana Hawait (QT 10.1Mo), (1923), un Dor classique, interpété par So’ad Muhammad.
Salma Ya Salama (QT 3.9Mo), (1919), interrété par Firqat al-Musiqa al-Arabiyah.
en streaming Real : Dor Ana Hawait - Salma Ya Salama
Saliba al-Qatrib (1904-1994), un des grands interprètes du Oud.
Taksim & Sama’i Bayati. Une improvisation au Oud de Sama’i Bayati (1.2Mo), il est accompagné au violon par son fils Fuad. Ce classique de la musique égyptienne a été composé par Ibrahim al-Aryan (1898-1953).
Ana Fi Sukrayn (3.7Mo) enregistrée à Tripoli en 1955.
Wasif Jawharieh, palestinien (1887-1948).
Les trois pièces suivantes sont représentatives de la musique palestinienne du premier quart du XXe siècle.
El Badr Lamma Zar (534Ko), par Wasif au Oud.
Ya Maimati (372Ko), une chanson populaire.
Dor Ashki Limeen (1.1Mo), composé par Dawood Husni (1871-1937).
Mohammad al-Qubbanchi (El-Kabbandji) (1901-1988). Considéré comme l’un des meilleurs chanteur de Maqam irakien.
Yallie Nisetouna (1.1Mo)
Salamun ‘Ala Dar as-Salam (1.7Mo), enregistré entre 1925 et 1932.
Saleh Abd al-Hayy (1896-1962). Un des meilleurs chanteurs du mode “Mawal”. Il joue avec son ensemble “Munira al-Mahdiyah”.
Laih Ya Banafseg (3.1Mo)
Dor ‘Eshna Ou Shofna (955Ko)
Retour
Vers l'accueil