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Quelques réserves indispensables sont aussi à souligner. L’invention du phonographe, d’origine occidentale, a été mise au service de voix, dont la technique de tête permet de surgir impétueusement hors du pavillon : elle transcende ainsi le support. Lorsqu’on écoute les grands chanteurs arabes du début de ce siècle, cette particularité fait défaut. La voix arabe, généralement une voix de ventre, intériorisée, est desservie par les carences du pressage. D’où à l’audition, ce sentiment d’un art fluet. D’autre part, la notion de temps est amoindrie par l’apparition du soixante-dix huit tours. La musique savante, d’obédience modale, s’écoule par l’improvisation qui bouscule et réduit à néant toutes les contraintes quantifiables. La grande difficulté des musiciens sera donc de s’acclimater en un premier temps aux fatidiques trois minutes trente, approximativement la durée d’une face, puis aux sept minutes, si l’on ajoute le verso. Il faudra la génération suivante, celle du disque électrique (vers 1925) pour découvrir une réelle maîtrise du temps écourté. D’où ces formes mal-menées, rétrécies ou distendues, comme ces variations de tempi d’une face à l’autre ou ces improvisations inattendues qui surgissent à la fin d’un morceau trop court afin de meubler la durée impartie. À ces quelques griefs, s’oppose une conception originale de la pratique musicale qui ne saurait être gommée, lorsqu’on envisage l’audition de cette époque non plus comme un moment esthétique, mais une composante de l’histoire. Ce qui surprend et bouleverse, s’avère bien l’économie des moyens: l’art musical arabe en ce début du siécle est un art austère qui se démarque foncièrernent des moyens prolifiques et outrecuidants de la musique actuelle. C'est aussi un art qui sépare peu le sacré du profane : à cet égard la qasida de Salama Higâzî détermine moins une courbe qui annonce Umm Kulthûm, qu’elle n’anticipe l’orientation suivie ultérieurement par le récitant de Coran Abd aI-Bâsit Abd al-Sa-mad. Ces pratiques musicales dévoilent aussi une esthétique de l’elliptique, suggérant davantage qu’elles ne permettent d’exposer.
S’y greffe en outre, un autre trait qui ne saurait passer inaperçu ; la notion de récurrence qui accorde au silence, une dimension grandiose, devenant espace de réflexion. Les réitérations nombreuses qui fondent l’accompagnement ou le jeu instrumental, comme par exemple le Bashraf Qarabatak, alimentent en exergue une inquiétude sous-jacente, sorte de qui-vive momentané s’apaisant en fin de parcours. La reprise dans le jeu d’éléments répétitifs est de plus rehaussée par l’absence de virtuosité gratuite. D’où cette émotion de l’attente, du temps suspendu qui confine à l’éternité, comme dans la qasîda de Abd al-Hayy Hilmî. Est-ce donc la raison qui pousse les chanteurs à se réfugier dans l’introspection ? La musique arabe, telle que ce disque compact la restitue, accréditerait-elle un retour à soi ? Une façon de vibrer avec l’éternité ? Quoi qu’il en soit, ce qui se dégage de ces voix d’outre-tombe, est une sorte d’ivresse. Une ivresse que seul l’art musical distille et qui, en dotant l’éloquence de sobriété, place l’expression sur le chemin de l’universel. |
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Muhyiddin Ba Yun (1868-1934)
lssu d’une vieille famille beyrouthine, Muhyiddîn Ba yûn fut compositeur, chanteur et luthiste ( ûd, tanbùr, buzuq). Son aptitude à l’improvisation, tout comme sa science des modulations, des transpositions et des rythmes en firent le créateur d’une véritable école. L’un des premiers artistes à revendiquer l’indépendance de l’instrument par rapport à la voix, il sut aussi populariser par ses chants la poésie moderne, tant littérale que dialectale. De nombreux enregistrements diffusèrent son répertoire, d’où est extrait ce taqsîm divisé en deux parties. La première emploie le style d’attaque du rashsh (littéralement : arrosage), mettant en valeur les deux double-cordes du tanbûr, instrument privilégié des théoriciens de la musique arabe.
Ba yûn systématise et développe ainsi l’enseignement de son maitre lbrâhîm Adham (vers 1855-1932), luthiste de Bagdad. La seconde partie, modulant en Sîkàh, dissèque les possibilités modales du Rasd dans un style plus traditionnel, toujours marqué par la sobriété et l’art de la nuance. |
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