Si Johannes Ockeghem avait eu l’intention de composer une musique qui dérouterait l’analyse moderne et y échapperait constamment, il n’aurait, en fait, pas mieux réussi. Les musicologues s’accordent depuis longtemps à penser que le style musical sacré d’Ockeghem est mieux décrit par des termes négatifs - c’est-à-dire, en lui niant les propriétés formelles qui sont présentes de manière plus évidente dans les partitions d’autres compositeurs. Missa Mi-mi est un bon exemple : pas de cantus firmus, peu ou pas d’imitation, très peu de cadences, pas de divisions de section claires, peu ou pas de changements d’impression structurelle et ainsi de suite. La même chose est vraie, avec peu d’exceptions, des motets Salve Regina et Alma redemptoris mater. En même temps, il suffit d’écouter la musique elle-même pour reconnaître que, de toutes les mises en musique, celles-ci sont bien du Ockeghem. Qu’est-ce qui les rend donc reconnaissables, si, tout d’abord, elles ne sont pas ceci ou pas cela ?

Les musicologues se sont accordés pour dire que “la composition-par-rejet” d’Ockeghem doit, d’une façon ou d’une autre, avoir été inspirée par des idées spirituelles. Intuitivement, l’on a tendance à vouloir être d’accord avec ceci : son style musical sacré est traditionnellement considéré comme le plus réfléchi, introspectif et spirituel du quinzième siècle. Et aucune écoute de ses messes et motets - particulièrement après avoir écouté, disons, Dufay, Busnois ou Obrecht - ne feront paraître cette affirmation exagérée. Mais, comment les manquements manifestes d’Ockeghem à l’articulation musicale peuvent-ils être compatibles avec (ou expliqués par) sa spiritualité patente ?

On a supposé, jusqu’à assez récemment, que les messes et motets d’Ockeghem étaient des expressions musicales du mysticisme du quinzième siècle et pourraient avoir été associés au mouvement connu sous le nom de devotio moderna. L’expérience, semblable à une transe, des mystiques, de ce point de vue, pourrait avoir trouvé un équivalent à une expérience musicale intense, l’accent dans les deux étant éloigné de l’analyse rationnelle. Mais des objections à cette hypothèse ont été émises tout aussi souvent : premièrement que les adeptes du devotio moderna, pour toute leur spiritualité (ou plutôt à cause d’elle), méprisaient la musique polyphonique comme étant “séculaire”, et, deuxièmement, qu’ils encourageaient un mode de vie de pauvreté dont Ockeghem (en tant que trésorier de l’église de St Martin à Tours) n’était guère un exemple.

Mais le “rejet” n’était pas l’enseignement des seuls écrivains mystiques : en fait, c’était presque un lieu commun dans la philosophie scolastique médiévale que Dieu, lui-même ne peut être connu qu’à travers le rejet (ou bien, à travers la révélation comme il est raconté dans les écritures saintes). C’est-à-dire : tout ce qui peut être connu positivement par l’expérience est le monde, mais Dieu ne peut être connu que négativement, en éliminant les caractéristiques du monde. Le cosmos médiéval était fini, mais Dieu était infini ; le monde changeait mais Dieu ne changeait pas, le monde consistait en de nombreuses créatures et choses, mais Dieu était unique et entier.

La musique d’Ockeghem était-elle donc, d’une manière ou d’une autre, une expression de ce que l’on pensait que Dieu était ? Ceci semble peu probable : la Missa Mi-mi est finie, évoluant dans un espace de temps limité, changeant continuellement, et consiste en une multitude de notes (bien organisées). Mais du point de vue médiéval, bien sûr, le monde lui-même (avec lequel Mi-mi partage toutes ces caractéristiques) était une expression de Dieu. Et si la musique ne peut pas transmettre directement ce que Dieu est, au moins, elle peut exprimer quelque chose à son sujet dans la manière où il s’est exprimé dans la Création.

Cette idée avait une longue descendance. Un principe clé de l’esthétique médiévale était le dicton d’Aristote disant que “l’art imite la nature”. la musique était considérée comme un art “supérieur” aux autres en ce qu’elle pouvait imiter la nature plus abstraitement, plus fondamentalement. là où un peintre ou un sculpteur devaient se contenter de représenter des objets littéralement comme ils étaient, le musicien pouvait représenter leurs principes sous-jacents d’harmonie, de diversité, changement et composition. Il pouvait, en fait, imiter l’actemême de création de Dieu, comme décrit dans l’écriture sainte : Dieu avait tout organisé “avec douceur”, et “avait commandé toutes les choses en mesure, nombre et poids” (Sagesse viii.I et xi.20). Quel autre art que la musique pouvait représenter la douceur (en production de timbre et en consonance), mesurer (en rythme), numéroter (en notes), et peser (en ton) ?

Un autre lieu commun dans la philosophie médiévale était que les qualités qui existaient uniques et entières dans Dieu pouvaient exister dans le monde seulement sous une multitude de formes fragmentées en diversité. Ce n’est pas une coïncidence qu’un grand théoricien musical de l’époque d’Ockeghem ait souligné l’importance de la variété comme principe d’esthétique. Ockeghem alla peut être plus loin que la plupart de ses contemporains à accroître cette variété jusqu’à un point extrême. Aucun passage musical, dans ses œuvres, ne se trouve être identique au suivant : la duplication (imitation ou répétition) est rigoureusement évitée. Ainsi en est-il de tout ce qui pourrait contraindre l’exubérance de la diversité dans des multitudes de détails musicaux (p. ex. les cadences, les divisions de section, les changements d’impression structurelle). Ceci est le message positif que l’analyse moderne ne peut que lire négativement. Où l’analyste recherche habituellement une unité musicale (plutôt que variété), on croyait, au Moyen Âge, que l’unité parfaite n’existe que dans Dieu et que les mortels ne peuvent pas connaître sa beauté sauf dans une variété de kaléidoscope. La musique d’Ockeghem, alors, témoigne de la gloire de Dieu, mais le fait indirectement, en représentant les principes qui régissent sa création.

À côté de ceci, le motet Victimæ paschali laudes d’Antoine Busnois est considérablement mieux articulé. Basé sur la célèbre séquence de Pâques (on l’aurait conçu pour la remplacer dans les célébrations liturgiques), il expose la mélodie avec peu d’ornementation et (au début) répète des morceaux entiers de contenu musical. Ceci est une mise en musique plus visiblement fonctionnelle, moins “difficile” que la musique d’Ockeghem et d’un attrait plus direct pour cette raison particulière. Il en est de même du motet de Jacob Obrecht Haec Deum cæli, basé sur le second couplet de l’hymne Quod chorus vatum. La mélodie de la psalmodie filtre à travers toutes les voix, ce qui crée une unité précise mais signale aussi un retrait de l’extrême diversité d’Ockeghem.

Heinrich Isaac est l’un des compositeurs de la fin du Moyen-Âge les plus injustement négligés. Comme Obrecht, c’était un homme ayant un talent musical exceptionnel, composant de la musique d’une technique et d’un talent artistique sans pareils. Comme Obrecht, aussi, il y a toujours des côtés inattendus dans sa personnalité musicale, ce qui fait de l’enregistrement continu de leurs deux musiques un véritable voyage de découverte. Angeli archangeli est un motet à six voix splendide pour la fête de la Toussaint. Le cantus firmus n’est pas pris de la liturgie de cette fête, mais, curieusement, du célèbre chant de Binchois Comme femme desconfortée, dans laquelle une dame raffinée se lamente sur sa mésaventure et exprime son désir de mourir. La combinaison semble curieuse, à moins que ne l’on suppose qu’Isaac composa son motet pour une vierge-martyre spécifique, même si son texte ne cite aucun saint en particulier.

Johannes Ockeghem (1410-1497)
•••1. Salve Regina
••••••Missa Mi-mi
•••2. Kyrie
•••3. Gloria
•••4. Credo
•••5. Sanctus
•••6. Benedictus
•••7. Agnus Dei
The Clercks’ Group
Director : Edwaed Wickham
Sopranos : Carys Lane - Rebecca Outram
Hautes-Contres : Deborah Mackay - Robin Blaze - William Missin
Ténors : James Gilchrist - Philip Cave
Basse-taille : Simon Turnill - Edward Wickham
Basses : Jonathan Arnold - Robert MacDonald
1. Salve Regina
Salve Regina, mater misericordiæ : vita, dulcedo, et spes nostra, salve. Ad te clamamus, exules, filii Hevæ. Ad te suspiramus, gementes et flentes in hac lacrimarum valle. Eia ergo, Advocata nostra, illos tuos misericordes oculos ad nos converte. Et Jesum, benedictum fructum vertris tui, nobis post hoc exilium ostende. O clemens : O pia : O dulcis Virgo Maria.
2. Missa Mi-Mi
Kyrie
Kyrie eleison Christie eleison Kyrie eleison
3. Gloria
Gloria in excelsis Deo. Et in terra pax hominibus bone volunntatis. laudamus te. Benedicimus te. Adoramus te. Glorificamus te. Gratias agimus tibi propter magnam gloriam tuam. domine Deus rex celestis Deus pater omnipotens. Domine fili unigenite Ihesu Christe. Domine deus, agnus Dei, filius patris. Qui tollis peccata mundi, miserere nobis. Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram. Qui sedes ad dexteram patris, miserere nobis. Quoniam tu solus sanctus. Tu solus Dominus. Tu solus altissimus, Ihesu Christe. Cum Sancto Spiritu in gloria patris. Amen
4. Credo
Credo in unum Deum : Patrem omnipotentem factorem celi et terre, visibilium omnium et invisibilium, et in unum Dominum Ihesu Christum filium Dei inugenitum. Et ex patre natum ante omnia secula. deum de Deo, lumen de lumine, Deum verum de Deo vero. Genitum non factum consubstantialem patri per quem omnia facta sunt. Qui propter nos homines et propter nostram salutem descendit de celis. Et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria virgine, et homo factus est. Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato passus et sepultus est. Et resurrexit tertia die secundum scripturas, et ascendit incelum sedet ad dexteram patris. Et iterum venturus est cum gloria iudicare vivos et mortuos cuius regni non erit finis. Et in spiritum sanctum Dominum et vivificantem qui ex patre filioque procedit. Qui cum patre et filio simul adoratur et conglorificatur. Qui locutus est per prophetas, et unam sanctam catholicam et apostolicam ecclesiam. Confiteor unum baptisma in remissionem peccatorum. Et expecto resurrexionem mortuorum, et vitam venturi seculi. Amen
5. Sanctus
Sanctus, Sanctus, Sanctus : Dominus Deus sabbaoth.
Pleni sunt celi et terra, gloria tua.
Osanna in excelsis.
6. Benedictus
Benedictus qui venit in nomine Domini.
Osanna in excelsis.
7. Agnus Dei
Agnus Dei qui tollis peccata mundi, miserere nobis.
Agnus Dei qui tolis peccata mundi, miserere nobis.
Agnus Dei qui tollis peccata mundi, dona nobis pacem.
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