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Le

     

 

Chapitre III

       
par Dylan Cotton 


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Que signifie “New thing” ?
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A. Contexte général

B. Caractéristiques musicales
1. 1. Les instruments
2. 2. L’organisation mélodique
3. 3. L’organisation rythmique
4. 4. Quelques conseils

Discographie
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A. CONTEXTE GÉNÉRAL : les années 60
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À la fin des années ‘50 se dessine un nouveau revirement, qui prendra le nom de “Free jazz” (jazz libre), et aussi de “New wave” (nouvelle vague) ou “New thing” (chose nouvelle).
Sur le plan de la politique étrangère américaine, signalons le rapprochement avec l’URSS, mais la rupture avec l’Amérique latine (Cuba surtout).
C’est, avec l’élection du démocrate John Kennedy à la présidence, une aide plus grande aux pays en voie de développement, le lancement du programme spatial... mais aussi : la course aux armements, l’intervention croissante des États-Unis dans les affaires vietnamiennes... Les USA s’engagent dans la guerre à partir de 1964. Les étudiants de Berkeley manifestent avec violence leur opposition à cette ingérence.
Sur le plan intérieur, mentionnons l’intensification de l’opposition Noirs/Blancs avec l’influence grandissante des Black Muslims, alors que les gouverneurs des États du Sud opposent leur inertie aux décisions fédérales en matière d’intégration. Le sang coule...
L’été 1964 (sous le président Johnson, succédant à John Kennedy assassiné), est celui de manifestations violentes menées par les Afro-américains pour le respect de leurs droits, qu’une “Loi sur les droits civiques” établie en ‘63 et soutenue par Martin Luther King s’avère insuffisante à garantir. Martin Luther King est assassiné en ‘68. Puis Robert Kennedy.
Le niveau de vie des Noirs est au plus bas. L’industrie du disque, florissante en certains endroits grâce à la Soul music (Tamla Motown à Detroit, entre autres), ne change rien à cet état de fait.
Chez les Afro-américains, un adulte sur cinq est sans travail, et l’espérance de vie est nettement inférieure à celle des Blancs.
Voir une relation directe entre le chaos des années ‘60 et l’établissement du Free jazz serait chimérique. L’éclatement du langage que recouvre l’appellation “Free jazz” est avant tout l’aboutissement logique de l’écartèlement continuel, historique, exercé sur les canevas harmonique, mélodique et rythmique élaborés à partir du New Orleans. Le même phénomène s’était déjà produit dans la musique classique dès le début du 20ème siècle avec Schönberg (entre autres), sur un terrain amplement préparé par Wagner à la fin du 19e.
Chacun de ces genres (musique classique et jazz) a connu en des époques et sur des durées très différentes, mais dans la même évolution logique, une période
---—d’installation (polyphonies “horizontales” Moyen Âge, Renaissance et Baroque / New Orleans, Chicago, New York),
---—de classicisme (harmonie “verticale” Classique / Swing),
---—d’élargissement (Romantisme, Impressionnisme, Expressionnisme... / Be bop, Cool, Hard bop...) et - d’éclatement (Musiques “Moderne” et “Nouvelle” / New thing).
Notons qu’avec l’avènement de la New Thing, la rupture est plus que jamais consacrée entre le grand public et le jazz, tandis que la Soul music prend un essor énorme au sein des communautés noires et que le Rock, sous la poussée des Beatles, s’impose comme la musique des jeunes Blancs.
Le jazz est définitivement réservé aux minorités d’amateurs et de connaisseurs qui s’intéressent soit à son actualité, soit à son passé, soit à l’ensemble de sa réalité. Mais il faut se rendre à l’évidence qu’à partir des années ‘60, nombre d’amateurs de jazz et de musiciens seront plutôt “passéistes”, continuant à faire vivre au moyen de disques et de concerts, le Cool, le Swing, le New Orleans même. Ainsi s’installent des styles “Revival” (“renouveau”) et “Mainstream” (“courant principal”) ou “Middle jazz” de bon aloi, faciles, non dérangeants. De quoi offrir aux auditeurs une “actualité” du jazz très éloignée de la création au sens véritable, toujours en mouvement, sans cesse à venir, inattendue, chercheuse, innovatrice, champ permanent de tous les possibles.
De nos jours, le succès d’un
Joshua Redman est l’exemple entre tous d’une promotion commerciale appuyée, destinée à faire émerger un musicien susceptible de rendre le secteur du disque jazz un tant soit peu rentable. Le père de Joshua, Dewey Redman, est probablement fier de la carrière dorée qu’on a mitonnée au fiston, mais refuserons d’ignorer à quel point il est plus intéressant d’écouter les disques auxquels a participé le père que ceux du fils ! (Ceci sans contester les qualités techniques de ce dernier).
Accordons aux enregistrements actuels de jazz mainstream qu’à défaut de nous proposer un tant soit peu d’innovation, ils nous offrent une qualité sonore supérieure aux enregistrements des époques antérieures (technologie oblige).
Si la New thing est bien une musique de minorité - et non un genre mineur -, son explosion géographique constitue, par contre, une compensation sur les plans de l’universalité et de la dynamique créatrice.
Certes, on jouait le jazz hors des États-Unis bien avant les années ‘60. (Voir à ce propos les anthologies en long playing 33 tours du label Harlequin, grâce auxquelles ont peut entendre des jazzbands de tous les coins du monde, de l’Inde au Brésil en passant par la France, la Belgique ou la Hongrie, dès les années ‘20 !).
Cependant, la véritable grande créativité non américaine date des années ‘60. Le “Jazz libre” (Free jazz) représente une nouvelle liberté de langage mais aussi une liberté géographique jusque-là inconnue. Les chefs de file seront désormais aussi bien des Européens ou des Japonais que des Américains...

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B. Caractéristiques musicales :
1. les instruments
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Avec la New thing, oublions les classifications : tout est permis. On ne dira plus, comme pour le Cool jazz, que “des instruments classiques font leur apparition dans les formations jazz”, car avec la “chose nouvelle”, les frontières sont abolies.
Cela dit, les instruments habituels du jazz demeurent prédominants, mais l’intervention d’autres, occidentaux, orientaux ou africains, est courante (écouter, par exemple, l’
Art Ensemble of Chicago), particulièrement au niveau des percussions.
Précision : le son est moins que jamais orienté vers une recherche de “perfection”. Il s’agit désormais d’un matériau expressif en soi, indépendamment du contexte mélodique (succession de notes) tel que créé par une phrase musicale (qui comprend au moins deux notes... et peut aller jusqu’à des dizaines). Un seul son, une seule note, peut avoir valeur de phrase musicale.
Pour étendre les possibilités sonores de leur instrument, les jazzmen ont parfois recours à des procédés comme
---— la préparation du piano (à l’instar de compositeur John Cage), consistant à coincer entre les cordes toutes sortes de matériaux tels que boulons, cartons, gommes, cailloux... ;
---— l’utilisation des clés du saxophone en tant qu’éléments de bruitage, ou d’une embouchure de trompette séparée du corps de l’instrument en vue d’effets sonores (idem avec le bec du saxophone) ;
---— ou encore : bruits de souffle dans la colonne d’air d’instruments à vent (sans produire de note déterminée), etc.

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2. L’organisation mélodique et harmonique
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Sans oublier que ce n’est pas la première, mais en envisageant que ce puisse être l’ultime, nous abordons ici une grande révolution du langage jazz. La New thing, en effet, peut rejeter ou oublier (l’une et l’autre attitudes sont envisageables) tout ou partie des acquis harmoniques et mélodiques des époques précédentes. Les italiques sont importantes : la New thing ne consiste pas systématiquement en une remise en question totale des canevas du jazz des années antérieures.
Pour comprendre ces nuances, rappelons que le jazz, en ce qu’il est profondément lié au principe de l’improvisation, est par définition une musique de la liberté : liberté par rapport à l’écriture, par rapport au convenu, par rapport à l’imposé. Le musicien de jazz est un musicien libre, depuis les origines.
L’horloge étant remise à l’heure, voyons ce que peut signifier l’appellation “Free jazz” qui, en fait, devrait être : “Very free jazz”, “Jazz très libre” ou “Totally free jazz”, “Jazz totalement libre”, selon les musiciens et les disques. Convenons que ces appellations sont plus exactes, mais pointilleuses, et choisissons “New thing” (« Chose nouvelle »), qui est le terme le plus communément employé, outre l’appellation “Free jazz”, dont le défaut est d’être restrictive, et même péjorative...
Avec la New thing, éclatement il y a, c’est certain : nous avons bien dit que l’élargissement constamment apporté aux règles de l’harmonie, de la mélodie et du rythme, conduisent le musicien à sortir de plus en plus des cadres, jusqu’à pouvoir ou vouloir s’en passer.
Ceci signifie que nous sommes en présence de deux catégories de jazz nouveau : soit une musique basée sur le rejet ou l’ignorance volontaire de toutes les règles, soit une musique basée sur le rejet ou l’ignorance volontaire d’une partie des règles.
Disons d’emblée que la frontière entre les deux n’est pas toujours absolue, que ce soit au niveau de l’œuvre globale d’un musicien, que ce soit au niveau d’un album ou au niveau d’un morceau, sur la longueur duquel différents moments peuvent se succéder : totalement free jazz, ou partiellement...

---Voici des explications plus détaillées qui éclaireront cette distinction - en schématisant quelque peu.

Concrètement, le Free jazz au sens total ou absolu du terme se caractérise par l’absence de grilles d’accords et (conséquemment) par la disparition du concept d’accompagnement. Nous rompons avec la manière traditionnelle de jouer le jazz selon laquelle les solistes s’exprimaient à tour de rôle, soutenus par la section rythmique (piano, contrebasse, batterie). Notons que le New Orleans privilégiait l’expression simultanée de solistes, mais selon des grilles d’accords et des règles d’improvisation très précises, et que le Cool jazz avait donné quelques ouvertures sur l’expression simultanée de solistes également, mais toujours selon des grilles d’accords, et selon des arrangements préétablis. Aucun rapport avec le Free jazz où (lorsqu’il est total), l’expression simultanée des musiciens est instantanée, immédiate, immanente à la création, non préétablie, placée sous l’égide de l’imprévu considéré comme un art.
L’absence de grilles d’accords a pour conséquence l’atonalité, signifiant, en gros, le non recours aux gammes et aux règles harmoniques.
On comprendra que les praticiens (les pratiquants ?) de cette musique se doivent d’être à l’écoute permanente les uns des autres. Sans cela, il ne se passerait rien d’autre qu’une superposition forcément chaotique d’expressions individuelles, où le hasard, l’aléatoire, interviendrait comme défaut et non comme qualité.
Nous nous trouvons donc en présence d’une démarche collective et interactive.
Certains musiciens optèrent pour un Free jazz “relatif”. On le disait : “le musicien peut rejeter ou oublier tout ou partie des règles” : le concept de liberté exclut l’obligation qui serait de devoir rejeter toutes les règles.

Ceci nous amène à parler du jazz modal. Sur le plan harmonique en effet, le jazz modal repose sur des accords “reconnaissables”, c’est-à-dire identifiables dans le système harmonique des styles précédents. Mais ces accords ne s’inscrivent pas dans une succession “logique” telle qu’utilisée dans le jazz en général, selon les principes historiquement établis régissant l’enchaînement des accords les uns aux autres. Ces principes, se rapportant à un système dit “tonal”, n’ont plus cours dans le jazz modal, où le choix des accords se succédant, et l’ordre dans lequel ils sont joués, sont totalement libres.
Cette absence de succession logique et convenue, dans le jazz modal, a pour conséquence un élargissement temporel : pas question de changer les accords deux fois par mesure comme on se plaisait à le faire dans le Be bop à des tempos (vitesse d’exécution du morceau) souvent très élevés. La “gymnastique” qui s’ensuivait était brillante, certes, mais très “directionnelle”. La succession des accords constituait un véritable parcours qu’empruntait le soliste avec le plus d’indépendance possible, mais sans jamais ignorer le canevas sous-jacent à son improvisation, parcours commençant par tel accord pour se terminer sur tel autre, toujours en fonction d’une logique harmonique bien connue et convenue, génératrice d’un “trajet” ayant son point de départ et son point d’arrivée.
L’“élargissement” temporel du jazz modal ne signifie aucunement “lenteur”. Mais dans le jazz modal, lorsqu’un accord est joué (selon une convention préalable ou non), les musiciens exploitent l’accord en toute liberté, c’est-à-dire sans la préoccupation d’un passage rapide et imminent vers un autre accord (rapidement abandonné pour un autre, etc...). Ceci ne signifie pas nécessairement que l’on retourne à un système d’accompagnement de solistes. L’improvisation collective “free” s’adapte à la musique modale.

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3. L’organisation rythmique
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À la liberté harmonique et mélodique s’associe bien entendu, dans l’esthétique “free”, la liberté rythmique. Cette liberté, utilisée dans sa totalité, conduit à l’arythmie (absence de rythme régulier) dès l’instant où le(s) musicien(s) ne se réfère(nt) à aucun schéma ni à aucune organisation rythmiques définissables. Mais là encore, toutes les nuances et les gradations sont possibles, au sein d’une composition, d’un album, ou de l’œuvre entière d’un musicien. La polyrythmie (superposition ou/et succession de rythmes différents) est plus que jamais possible (rappelons qu’elle avait été introduite par les musiciens de Be bop dans les années ‘40).

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4. Petits conseils
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Généralement, le seul mot “Free” fait fuir l’auditeur. Dommage ! Certains enregistrements totalement free sont ardus, il ne faut pas le nier. Pourquoi la musique de tous les possibles serait-elle facile ? Au contraire, en l’absence de points de repère, et face à l’exploration de zones imprévisibles, abîmes y compris, la déstabilisation de l’auditeur, voire son effroi, est énorme. Comment aborder une musique à propos de laquelle le mot “imposture” vient vite à l’esprit, sous la forme : “C’est n’importe quoi ! Insupportable ! De qui se moque-t-on ?”.
Les musiciens de Free jazz ne se moquent de personne. La critique à faire concernerait plutôt leur excès de sérieux. Pas toujours, heureusement : la dérision, l’humour ont de tout temps existé en jazz, y compris dans le Free. C’est sous cet angle, d’ailleurs, qu’on pourra interpréter ces mots du batteur Sunny Murray :
Le premier quidam venu pourra vous donner un exemple de liberté complète. Donnez-lui vingt dollars et il vous jouera quelque chose de vraiment libre”.

À propos d’imposture, précisons que les musiciens s’adonnant dans les années ‘60 à la New thing venaient le plus souvent du Hard bop, et possédaient une technique à toute épreuve. Hors de question de croire que le langage du Free jazz serait la conséquence d’une incompétence musicale.
Alors ?
D’abord, souvenez-vous que le terme “New thing” chapeaute aussi bien le Free “total” que “partiel” (ce dernier étant éventuellement modal). On n’est pas systématiquement projeté aux confins de l’extrême...
Ensuite, il faut se débarrasser de l’idée préconçue selon laquelle le Free jazz est “une cacophonie bruyante qui fait grimper aux murs”. De nombreux musiciens et groupes prouvent absolument le contraire avec des œuvres où finesse et subtilité règnent en maître.
Mais il est vrai que le Free jazz demande plus que jamais, par rapport à l’écoute du jazz en général, une disponibilité d’esprit, une concentration, une ouverture les plus grandes possibles.
Il faut se démunir des a priori et se tenir prêt à tout, puisque tout est possible (ce qui, comme projet musical, n’est déjà pas mal !).
Il est bon de se souvenir aussi des critiques formulées de tout temps aux musiciens porteurs d’un style nouveau : on prétendit des musiciens de l’Ars Nova, au 14ème siècle, qu’ils entraînaient la musique dans le “chaos” ; à Bach on reprocha la “grossièreté” de ses compositions ; à Mozart ses “imperfections” d’écriture ; à Beethoven son style “criard, incohérent et révoltant à l’oreille” ; à Wagner sa “cacophonie” ; à Debussy sa musique “cérébrale et nihiliste” et la première exécution publique du “Sacre du Printemps” de Stravinsky en 1913 tourna presque à l’émeute.
On reconnaîtra que toutes ces musiques font aujourd’hui partie des grands classiques et ne choquent plus personne.
Enfin, il faut écouter le Free jazz sans le considérer comme un aboutissement, mais bien comme un style qui, loin d’occulter les précédentes époques, serait plutôt éclairé par elles. Il est donc important d’écouter d’autres styles de jazz correspondant à d’autres époques. L’auditeur débutant qui voudrait n’écouter que du Free jazz serait un curieux specimen doté d’une faculté de concentration et d’analyse exceptionnelles. Le jazz, c’est aussi, comme je le disais en début de parcours à propos des origines, la sensualité, le physique. Même si cette dimension est souvent rencontrée dans le Free, reconnaissons qu’il fait appel également à une bonne part d’intellect.
Précisons, pour terminer, que la New thing n’est pas la dernière époque du jazz. Nous verrons plus loin quelles ont été les orientations après le bouleversement radical du Free. Une musique se relève-t-elle de pareille expérience ? Renaît-elle de ses cendres ? (Belles cendres en vérité, qui consacraient le passage au bûcher du système, avec pour conséquence une chose définitivement nouvelle, une “New thing”, précisément).
Voici, pour clore ce chapitre, quelques avis de spécialistes, qui devraient contribuer à éclairer les multiples faces du Free jazz, son aptitude à revêtir toutes les formes d’expression musicale possibles :
Marc Biderbost :
De la disparition de la structure harmonique traditionnelle naît une nouvelle construction instantanée qui ne doit plus rien aux concepts habituels et qui, en réalité, leur doit tout. Le résultat (...) se traduit pour l’auditeur par une “non-prévisibilité” de l’instant suivant. Cet élément désécurisant constitue, par le fait même, une authentique richesse, un renouveau d’écoute qui propulse le spectateur au rang de participant de la démarche expressive”.
Lucien Malson, parlant de Cecil Taylor et Albert Ayler :
Par le déferlement des notes, agrégées en masses houleuses ou, à l’inverse, éclatées en pluies torrentielles, Taylor menace l’auditeur de submersion. On entend courir, fulgurants, des échos de Prokofiev, de Bartok, de Schönberg, de Webern, vagues de loin en loin surgies de l’océan démonté. Energie, oui, et célérité (...). Chez Taylor, cette intensité dans le flux du vécu atteint comme une limite supérieure et s’extériorise cette fois dans la rapidité d’exécution même, dans le geste frénétique, le geste déchaîné. (...) Albert Ayler, qui débuta auprès de lui, à New York, avait, on s’en souvient, refusé également l’organisation satisfaite d’elle-même. Les musiques qu’il défigurait sombraient sous ses coups dans le ridicule : airs folkloriques de la vieille Europe, bribes d’hymnes nationaux, marches militaires, sonneries de trompes de chasse”.
Joachim-Ernst Berendt :
Le free jazz veut nous obliger à renoncer à voir dans la musique un moyen de s’affirmer. (...) Lorsque je parle d’affirmation de soi en musique, je fais allusion à la manière dont nous avons tous écouté la musique : en anticipant toujours quelques mesures - et en nous sentant rassurés lorsque celles-ci répondaient exactement (ou presque) à notre attente. Nous pouvions ainsi être fiers d’avoir eu raison. La musique n’avait d’autre fonction que de favoriser cette autosatisfaction. Tout se déroulait parfaitement - et les quelques endroits où se produisaient des déviations ne faisaient qu’accroître la fascination. Il faut écouter le free jazz en faisant fi de ce besoin d’affirmation. La musique ne suit plus l’auditeur ; c’est à l’auditeur de suivre la musique - de manière inconditionnelle - où qu’elle l’entraîne”.

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Références discographiques
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---— On trouvera ci-après les références d’enregistrements tant de tendance free que de tendance modale, sans distinction, l’étiquetage et le cloisonnement étant moins que jamais possibles. De multiples disques, en effet, ne correspondent pas catégoriquement à un style ou l’autre. Parfois aussi, les tendances varient d’une plage à l’autre au sein d’un disque.
---— Au long des notices discographiques j’ai évité, à quelques exceptions près, de citer des LP vinyles. Peu de monde possède encore une platine 33 tours ou n’en a même jamais possédé. D’autre part, ce texte est une approche du jazz et non une étude approfondie. Le CD paraissait donc convenir exclusivement. Cependant, bien des LP n’ont pas été édités en compact, et une bonne partie de la musique des années ‘60 et ‘70 (sans parler des décennies antérieures) demeure aux oubliettes ou presque.
---— À partir des années ‘60, l’importance des “labels” grandit : les grandes maisons de disques, à l’affût du commerce de la musique, se lancent peu volontiers dans des aventures peu rentables. Des petites marques, créées par des passionnés, compensent un tant soit peu cet inquiétant désintérêt. Les moyens de production et de distribution de ces labels “indépendants” sont limités, certes, mais leur action est fondamentale pour l’existence et l’avenir du jazz. Déjà le bopper Charlie Parker avait bénéficié d’un label créé pour sa musique par Ross Russel (Dial).
---— Avec cette efflorescence de labels, on observe un accroissement considérable des éditions phonographiques, à la manière d’une pyramide sur sa pointe - sur le plan chronologique. On ne peut dès lors couvrir tout l’éventail des productions des trente dernières années.

ABRAMS, Muhal Richard
Levels And Degrees Of Light, 1967

ART ENSEMBLE OF CHICAGO
People In Sorrow, 1969
1969-1970

AYLER, Albert
Spiritual Unity, 1964
New York Eye And Ear Control, 1964
Vibrations, 1964
Spirits Rejoice, 1965
Lorrach / Paris 1966
Live In Greenwich Village 1966-1967
Love Cry, 1967-1968

BRAXTON, Anthony
Three Compositions Of New Jazz, 1968

CHERRY, Don
Live At The Montmartre,
Vol.1, 1965
Vol.2, 1965
Symphony For Improvisers, 1966

COLEMAN, Ornette
The Shape Of Jazz To Come, 1959
Change Of The Century, 1959
Beauty Is A Rare Thing, 1959-1961
Free Jazz, 1960
Ornette On Tenor, 1961
At The Golden Circle -
Vol.1, 1965
Vol.2, 1965
Chappaqua Suite, 1965
The Empty Foxhole, 1966
New York Is Now, 1968

COLTRANE, John
Impressions, 1961-1963
a Love Supreme, 1964
Live In Japan, 1966
Meditations, 1966
Jupiter Variation / The Mastery Of John Coltrane, 1966-1967
Expression, 1967

DAVIS, Miles
Sorcerer, 1962-1967
Seven Steps To Heaven, 1963
Four And More, 1964
Cookin’ At The Plugged Nickel, 1965
E.s.p., 1965
Miles Smiles, 1966
Nefertiti, 1967
Filles De Kilimanjaro, 1968
In A Silent Way, 1969

DOLPHY, Eric
Out There, 1960
Outward Bound, 1960
Out To Lunch, 1964

HILL, Andrew
Point Of Departure, 1964

JAZZ COMPOSER’S ORCHESTRA
Communications 8 - 9 -10 - 11, 1968

KIRK, Roland
Rip Rig And Panic / Now Please Don’t You Cry, Beautiful Edith, 1965-1967
The Inflated Tear, 1967

LACY, Steve
The Straight Horn Of Steve Lacy, 1960
Evidence, 1961
The Forest And The Zoo, 1966

MINGUS, Charles
Charles Mingus Presents Charles Mingus, 1960
Oh Yeah, 1961
The Black Saint And The Sinner Lady, 1963
Mingus, Mingus, Mingus, 1963

MONCUR III, Grachan
Evolution, 1963
Some Other Stuff, 1964

NEW YORK ART QUARTET
New York Art Quartet, 1964

RUSSELL, George
Ezz-Thetics, 1961
The Stratus Seekers, 1962

RA, Sun
We Are In The Future, 1961
Other Planes Of There, 1964
Cosmic Equation [Heliocentric Worlds, Vol.1, 1965,
Vol.2, 1965
Sun Ra And His Astro Infinity Arkestra - Atlantis, 1967-1969
Outer Spaceways Incorporated, 1968

SHEPP, Archie
The New York Contemporary Five, 1963
Four For Trane, 1964
Freedom, 1967

SILVA, Alan
Skillfullness, 1968
My Country, 1971

TAYLOR, Cecil
Conquistador, 1966
Unit Structures, 1966
Nuits De La Fondation Maeght,
Vol.1
Vol.2

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Que signifie “Post-free” ?
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Introduction

A. Les années 70 et 80
1. 1. Le Jazz-rock
2. 2. Le Jazz ECM
3. 3. Le World jazz
4. 4. La nouvelle musique improvisée
5. 5. Les post-modernistes

B. Les années 90
1. 1. L’Acid jazz
2. 2. Le Trip hop jazz
3. 3. En guise de conclusion
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Rompons ici avec l’organisation habituelle des chapitres, pour évoquer les styles de jazz qui, après l’éclatement du Free, furent autant de répliques, de réactions, d’oppositions, de développements supposés apporter des réponses à l’angoisse du lendemain...
Que faire, en effet, lorsque la route s’arrête et nous offre, pour toute direction, un infini de possibilités ? Explorer ce champ de tous les possibles ou rétrograder ? Plonger ou faire semblant que rien ne s’est produit ? Et dans ce dernier cas, lorgner ailleurs, avec l’espoir qu’une solution viendra de là ? Par exemple vers la musique rock qui s’est développée parallèlement à la New thing dès les années ‘60 ? Ou vers les musiques non occidentales - sur lesquelles, du reste, la New thing, à sa manière, était déjà branchée ?

NB : ainsi qu’il en fut de chaque style décrit jusqu’ici, le Free jazz ne souffrit nullement d’un déclin après les années ‘60. Il y eut - il y aura - toujours des musiciens pour le jouer, a fortiori si l’on admet que l’exploration du “no limits” est loin de connaître l’impasse (le contraire serait un non-sens...).
De la même manière, les styles décrits ci-après furent particulièrement liés aux périodes indiquées, mais continuent d’être pratiqués.

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1. Le Jazz-rock.
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Le Jazz-rock, avec sa variante “Jazz fusion”, concrétisa sans doute le désir qu’avaient certains musiciens de renouer avec le grand public. L’électrification des instruments en est une caractéristique. On vit notamment apparaître des pianos électriques comme le Fender Rhodes, des “pré-synthétiseurs” tel le Ring modulator, des synthétiseurs tels le Prophet, le Moog, le Mini-moog (à nouveau à l’honneur aujourd’hui en tant que “vintage instruments” dans le Trip hop et la Techno).
Miles Davis (venu du Be bop et du Cool ensuite) donna le coup d’envoi avec “A tribute to Jack Johnson”, ou encore “Bitches brew”, des disques magistralement “fusion”. Bien d’autres suivront, jusqu’à un grand silence (Miles cessa de jouer près de cinq ans) rompu dès les années ‘80 en un come-back très Jazz-rock avec les albums “The man with the horn” et “We want Miles” etc. Jusqu’aux sans doute très commerciaux “You’re under arrest” et “Tutu”. Certainement moins aventureux que les albums et concerts des années ‘60 et ‘70, ces disques n’en sont pas moins marqués de l’extraordinaire empreinte de Miles.
Entretemps, d’autres avaient pris la relève : John Mc Laughlin (qui joua avec Miles), le groupe Weather Report, etc... Un autre jazz-rock devait également se faire entendre, à l’initiative de musiciens d’origine rock plus que jazz : les groupes Chicago Transit Authority, Blood Sweet and Tears, etc... et surtout, côté fusion, l’excellent Soft Machine. Signalons, dans le domaine rock encore, l’influence du guitariste rock Jimi Hendrix, dont Miles Davis fut un des premiers admirateurs.
La caractéristique rythmique du Jazz-rock est la binarité (qui est le fait du Rock, contrairement à la ternarité jazz). On a vu, en effet que le jazz fonctionnait sur le principe rythmique “longue-courte, longue-courte”, “dooo - be - dooo - be - dooo - be - dooo...” tel que [dooo + be] = 1 temps, la division de chaque temps s’effectuant à peu près comme suit : [dooo = 2/3 du temps] et [be = le tiers restant]. De ce principe découlait le swing.
En rock, par contre, la division des temps se fait simplement en deux parties égales.
Cette manière est contraire au swing. Le terme “groove” fut adopté pour désigner un jeu rythmique binaire particulièrement dansant, surtout dans le contexte de la musique funk (les années ‘70 et ‘80), puis à propos de l’Acid jazz et du Trip hop jazz (les années ‘90).

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Références Discographiques
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BRECKER, Michael
Michael Brecker, 1987
Now You See It, 1990

CLARKE, Stanley
Stanley Clarke, 1974

COBHAM, Billy
Spectrum, 1973

COREA, Chick
Return To Forever, 1972
Hymn Of The Seventh Galaxy, 1973
No Mystery, 1975

CORYELL, Larry
Spaces, 1969
At The Village Gate, 1971
Twin House, 1976-1977
Tributaries, 1978-1979

DAVIS, Miles
A Tribute To Jack Johnson, 1970
At Filmore, 1970
Bitches Brew, 1970
On The Corner, 1972
Pangaea, 1975
Agartha, 1975
You’re Under Arrest, 1985
Tutu, 1986

HANCOCK, Herbie
Headhunters, 1973
Secrets, 1976
Future Shock, 1983
Sound System, 1984

McLAUGHLIN, John (Mahavishnu)
My Goal’s Beyond, 1970
The Inner Mountain Flame, 1971
Birds Of Fire, 1972
Shakti, 1975
Electric Guitarist, 1978

PASTORIUS, Jaco
Jaco, 1974
Jaco Pastorius, 1976
Holidays For Pans, 1980-1982

SHORTER, Wayne
Native Dancer, 1974

WEATHER REPORT
Weather Report, 1970-1971
I Sing The Body Electric, 1971-1972
Mysterious Traveller, 1974
Black Market, 1976-1976
Mister Gone, 1978
8 :30, 1978-1979


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2. Jazz ECM
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Le “jazz ECM” doit son nom à la marque de disques allemande “Edition of Contemporary Music”, créée par Manfred Eicher en 1969.
Très vite après ses débuts free jazz, l’édition de musiques contemporaines concernera principalement une série de musiciens spécialistes des sonorités planantes, des grands espaces, des atmosphères ”languides“. Une esthétique de la quiétude, de la douceur, de la non-surprise, du prévisible et du convenu collera de plus en plus au label ECM, avec des hauts et des bas : la porte aux complaisances est grande ouverte, et lorsque les musiciens l’empruntent, les musiques aériennes ne volent pas très haut... S’agit-il encore de jazz ? Vieux débat ! Comment caractériser le jazz de manière sûre et définitive ? Et pourquoi faire ? D’ailleurs, la dénomination “Edition of Contemporary Music”, n’indique aucunement qu’on se réclame de jazz...
Cependant, ne dénigrons la production de la firme allemande : des chefs-d’œuvre ont certes été commis par des musiciens tels que Eberhard Weber, Keith Jarrett, John Surman en certains de leurs disques et concerts.
Et l’on n’oublie pas non plus qu’ECM se consacra ci et là à l’édition d’artistes et groupes remarquables tels Anthony Braxton et l’Art Ensemble of Chicago, à l’écart des douceurs ouatées de leurs coreligionnaires.
Une fois encore, précisons que l’attrait du jazz est sa pluralité : on peut parfaitement apprécier la belle solennité de Chorus d’Eberhard Weber, une musique très écrite, quasi classique, et la grâce trouble de Urban bushman de l’Art Ensemble of Chicago, une musique très improvisée et spontanée. C’est cette dualité, en tout cas, que nous propose ECM.

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Références Discographiques
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ABERCROMBIE, John
Timeless, 1974
Gateway, 1975
Characters, 1977
Current Events, 1985
Animato, 1989

CONNORS, Bill
Theme To The Guardian, 1974
Swimming With A Hole In My Body, 1979

COREA, Chick
A.r.c., 1971
Crystal Silence, 1972
An Evening With Chick Corea And Herbie Hancock, 1978
Lyric Suite For Sextet, 1982

DeJOHNETTE, Jack
Works, 1975-1981
Special Edition, 1979

GARBAREK, Jan
Sart, 1971
Belonging, 1974
Places, 1977
I Took Up The Runes, 1990

GISMONTI, Egberto
Dança Dos Escravos, 1988

HADEN, Charlie
Magico, 1979
Ballad Of The Fallen, 1982
Haunted Heart, 1991

HOLLAND, Dave
Conference Of The Birds, 1972
Jumpin’ In, 1983
Extensions, 1989

JARRETT, Keith
Facing You, 1971
Solo Concerts : Bremen / Lausanne, 1973
Ruta And Daitya, 1973
Luminescence, 1974
Köln Concert, 1975
Nude Ants, 1979
Concerts [Bregenz], 1981
Spirits - Vols. 1 & 2, 1985
The Cure, 1990
Bye Bye Blackbird, 1991

METHENY, Pat
Bright Size Life, 1975
80 / 81, 1980
Travels, 1982
Rejoicing, 1983

MOTIAN, Paul
Conception Vessel, 1972
Tribute, 1974
Le Voyage, 1979
It Should ‘Ve Happened A Long Time Ago, 1984

RYPDAL, Terje
What Comes After, 1973
Odyssey, 1975
Rypdal, Vitous, Dejohnette, 1978
Descendre, 1979

SHANKAR
Vision, 1983
Song For Everyone, 1984

SURMAN, John
Upon Reflection, 1979
The Amazing Adventures Of Simon Simon, 1981
Such Winters Of Memory, 1982
Adventure Playground, 1991
The Brass Project, 1992

TAMIA
De La Nuit... Le Jour, 1987

TOWNER, Ralph
Trios / Solos, 1972
Diary, 1973
Solstice, 1974
Sound And Shadows, 1977

WEBER, Eberhard
YELLOW FIELDS, 1975
LATER THAT EVENING, 1982
CHORUS, 1984
PENDULUM, 1993


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3. Le World jazz
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Le guitariste de Jazz-rock John “Mahavishnu” Mc Laughlin s’intéressait à la musique indienne, avec laquelle il tenta de fusionner (notamment à l’occasion d’enregistrements avec le violoniste indien Shankar) ; le pianiste Dollar Brand “Abdullah Ibrahim” s’inspira abondamment de la musique d’Afrique du Sud vers laquelle il effectua un retour. Un certain nombre de musiciens se rapprochèrent, eux, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud.
Ainsi de Gato Barbieri, qui transposa sur un plan jazz les mélodies et les rythmes du Brésil, par exemple la samba, avec des résultats souvent très accrocheurs : c’était une musique tonique, lyrique, fortement enracinée dans le fonds populaire, qui permettait à un public plus large que de coutume de goûter les plaisirs du jazz.
Sonny Rollins en fit autant, avec un autre résultat sonore, tout aussi intéressant.
Par ailleurs, les musiciens cubains et porto-ricains de New-York se plairont, eux, à introduire la salsa dans le jazz. On se souviendra qu’au temps du Be-bop déjà, les jazzmen s’étaient intéressés aux musiques d’Amérique centrale.

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Références discographiques
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NB : énormément de musiciens sud et centre-américains ont fortement inspiré le jazz sans être eux-mêmes des jazzmen. En tant qu’interprètes on les découvrira plutôt dans les collections de CD consacrés aux musiques du monde, alors que leurs compositions sont jouées depuis les années ‘40 par de nombreux musiciens de jazz. Ainsi de Antonio Carlos Jobim, Ray Barretto, Machito, Eddie Palmieri, Tito Puente, Mongo Santamaria, etc...


ABOU-KHALIL, Rabih
Nafas, 1988
Al-Jadida, 1990
Blue Camel, 1992

BARBIERI, Gato
Bolivia, 1972-1974
Para Los Amigos, 1981
Apasionado, 1981-1983

GURTU, Trilok
Living Magic, 1990-1991
Crazy Saints, 1993
Believe, 1994

IBRAHIM, Abdullah
Ode To Duke Ellington, 1973
African Dawn, 1982
African River, 1989

OREGON
Oregon, 1983
Ecotopia, 1987

PASCOAL, Hermeto
Festa Dos Deuses, 1992

SANDERS, Pharoah
Thembi, 1970-1971
Rejoice, 1981

SANTAMARIA, Mongo
Summertime, 1980
Ole Ola, 1989

TEMIZ, Okay
Misket, 1989
Magnet Dance, 1994


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4. La Nouvelle musique improvisée
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Il s’agit de la démarche Post-free la plus proche du Free jazz. On se référera dès lors au chapitre New thing. Avec cette différence que le langage Free a dépassé le stade de révolution musicale pour devenir un genre établi (sans pour autant dire “bien établi”, qui serait contraire à la vocation de remise en question permanente du langage propre à la Nouvelle musique improvisée).
S’agit-il encore de jazz, ou d’un phénomène musical plus large, plural, en intersection avec d’autres genres tels que la Musique nouvelle issue de la musique classique, y compris la musique dite “électronique” ?
Signalons enfin que dans le domaine des Nouvelles musiques improvisées, l’Europe n’est pas en reste (de même qu’elle est très présente au niveau du jazz ECM ou de celui des Post-modernistes.
“Les jeunes musiciens européens développent un nouveau système d’expression, à la fois synthèse des acquis jazzistiques , de leurs valeurs culturelles propres et de leurs schémas d’analyse projective sur l’environnement, la société et le monde”. (Biderbost-Cerutti).

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Références Discographiques
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ABRAMS, Muhal Richard
Colors In Thirty-Third, 1986
Blu Blu Blu, 1990
Familytalk, 1993
One Line, Two Views, 1996

ALLEN, Geri
Twylight, 1989
Segments, 1989
Nurturer, 1990
Maroons, 1992

ALTENA, Maarten Regteren
Rif, 1987
Coe, 1990

ART ENSEMBLE OF CHICAGO
Live At Mandell Hall, 1972
Fanfare For The Warriors, 1973
Nice Guys, 1978
Full Force, 1980
Urban Bushmen, 1980
Naked, 1985-1986

BAILEY, Derek
Solo Guitar - Vol.1, 1971
Dart Drug, 1981
Han, 1986
Figuring, 1987-1988

BLEY, Paul
With Gary Peacock, 1970
Jaco, 1974
Axis, 1977
Tears, 1983

BLUIETT, Hamiet
The Clarinet Family, 1984
Nali Kola, 1987
Sankofa, 1992

BLYTHE, Arthur
Metamorphosis / The Grip [In Concert], 1977
Illusion, 1980
Hipmotism, 1991

BOWIE, Lester
All The Magic / The One And Only, 1982
I Only Have Eyes For You, 1985
My Way, 1990
The Organizer, 1991
The Fire This Time, 1992

BRAXTON, Anthony
Dortmund [Quartet] 1976
Composition N°96, 1981
Quartet [London] 1985
Six Monk’s Compositions, 1987
Seven Compositions [Trio], 1989
Willisau [Quartet] 1991
Quartet [Victoriaville] 1992

BROTZMANN, Peter
Machine Gun, 1968
Elements, 1971
Sacred Scrape - Secret Response - Live In The U.s., 1992

BYRON, Don
Tuksegee Experiments, 1991
Music For Six Musicians, 1995

CHERRY, Don
Brown Rice, 1975
El Corazon, 1982
Art Deco, 1988
Multikulti, 1988-1990
Dona Nostra, 1993

CODONA
Codona 1, 1978
Codona 2, 1980
Codona 3, 1982

COLEMAN, Ornette
Broken Shadows, 1971-1972
Dancing In Your Head, 1973-1976
Body Meta, 1975
Of Human Feelings, 1979
In All Languages, 1987

COOPER, Lindsay
Oh Moscow, 1989

CORA, Tom
Gumption In Limbo, 1990

CRISPELL, Marilyn
Labyrinths, 1987
For Coltrane, 1987
The Kitchen Concerts, 1989
Overlapping Hands : Eight Segments, 1990
Stellar Pulsations - Three Composers, 1992
Santuerio, 1993

GAYLE, Charles
Touchin’ On Trane, 1991
Consecration, 1993

HADEN, Charlie
Liberation Music Orchestra, 1970
Closeness, 1976
The Golden Number, 1976

JACKSON, Ronald Shannon
Barbeque Dog, 1983
Red Warrior, 1990
What Spirit Say, 1994

LACY, Steve
Trickles, 1976
Futurities - Part.1, 1984-1985, Part.2, 1984-1985
The Forest And The Zoo, 1986
Spirit Of Mingus, 1991
Vespers, 1993

LAST EXIT
The Noise Of Trouble [Live In Tokyo], 1986
Iron Path, 1988

LEROY, Jenkins
Urban Blues, 1984

LINDSAY, Arto
Aggregates 1-26, 1995

MANGELSDORFF, Albert
Three Originals : The Wide Point - Trilogue - Live In Montreux, 1975-1980

OLD AND NEW DREAMS
Cherry- Redman- Haden- Blackwell, 1976
Old And New Dreams, 1979
Playing, 1980

OSTERTAG, Bob
Attention Span, 1989
All The Rage [The Music Of Bobo Ostertag], 1993

PAINKILLER
Buried Secrets, 1991

PARKER, Evan
Atlanta, 1986
Process And Reality, 1991
Corner To Corner, 1993

PORTAL, Michel
Alors ! ! !, 1970
Dejame Solo, 1979

PULLEN, Don
Evidence Of Things Unseen, 1983
New Beginnings, 1988
Random Thoughts, 1990
Sacred Common Ground, 1995

RA ARKESTRA, Sun
Live From Soundscape, 1979
Love In Outer Space, 1983
Purple Night, 1989
Pleiades, 1990
Mayan Temples, 1990

RUDD, Roswell
Regeneration, 1982

SCHWEIZER, Irène
Piano Solo - Vol.1, 1990,
Vol.2, 1990

SHARP, Elliott
Monster Curve, 1984-1987
Loop Pool, 1988
Toscin, 1991
Abstract Repressionism : 1990-99
Interference, 1995

SHARROCK, Sonny
Guitar, 1986
Seize The Rainbow, 1987
Into Another Light, 1986-1991
Ask The Ages, 1991

SHEPP, Archie
i Didn’t Know About You, 1990
Goin’ Home, 1977
Trouble In Mind, 1980

TACUMA, Jamaaladeen
Show Stopper, 1982-1983
Renaissance Man, 1983-1984
Boss Of The Bad, 1991
So Tranquilizin’, 1984

TEITELBAUM, Richard
Concerto Grosso, 1985

THREADGILL, Henry
Easily Slip Into Another World, 1987
Rag, Bush And All, 1988
Spirit Of Nuff... Nuff, 1990
Too Much Sugar For A Dime, 1993

TOGASHI, Masahiko
Bura-Bura, 1986

ULMER, James Blood
Revealing, 1977
Free Lancing, 1981
America, Do You Remember The Love ?, 1987
Harmolodic Guitar With Strings, 1993

VITOUS, Miroslav
Journey’s End, 1982
Emergence, 1985

WARE, David S.
Passage To Music, 1988
Flight Of I, 1991
Cryptology, 1994

THE WORLD SAXOPHONE QUARTET
Plays Duke Ellington, 1986
Rhythm And Blues, 1988
Metamorphosis, 1990

ZORN, John
Locus Solus, 1983
Cobra, 1985-1986
Film Works , 1986-1990
Spy Vs. Spy, 1988
Naked City, 1989
Heretic [Jeux Des Dames Cruelles], 1991
Grand Guignol, 1992


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5. Les post-modernes
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Plus modernes que les Hard boppers, mais éloignés des Nouvelles musiques, voilà comment on pourrait qualifier les compositions d’un certain nombre de musiciens qui font l’actualité du jazz - au même titre que ceux dont nous avons parlé tout au long de cette approche.
Nommons-les “Post-modernistes” à défaut d’une appellation consacrée. Ensuite, rattachons certains d’entre eux à l’esprit du Cool jazz, vu l’importance accordée par ces musiciens aux aspects mélodiques (Tim Berne, Paul Motian, Bill Frisell etc...) tandis que les influences “blues” du Hard bop se sont incarnées en des formes où règnent l’esprit Soul jazz ou Funky jazz (Cassandra Wilson, Steve Coleman...). Mais il s’agit bien là de musiques différentes et non de “revivals”.
Enfin, il faut citer des outsiders tels que Carla Bley ou Michael Mantler, compositeurs de musiques pour grandes formations, protagonistes d’épopées souvent remarquables.
À défaut de pouvoir consacrer ici toute la place requise pour parler des musiques d’aujourd’hui, vous trouverez ci-dessous une discographie, tous azimuts.

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Références discographiques
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ANDERSON, Ray
Right Down Your Alley, 1984
Old Bottle - New Wine, 1985

BERNE, Tim
Mysteries [Mostly Hemphill], 1992
Nice View, 1993

BLEY, Carla
Dinner Music, 1976
Musique Mecanique, 1978
Social Studies, 1980
Fleur Carnivore, 1988

COLEMAN, STEVE
Motherland Pulse, 1985
Phase Space, 1991
Drop Kick, 1992
The Tao Of Mad Phat [Fring Zones], 1993

FRISELL, Bill
Before We Were Born, 1988
Is That You ?, 1989
Have A Little Faith, 1992
This Land, 1992

HANRAHAN, Kip
Coup De Tete, 1979-1981
All Roads Are Made Of The Flesh, 1985-1994

MANTLER, Michael
The Hapless Child, 1975-1976
Many Have No Speech, 1987
Cerco Un Paese Innocente, 1994

MOTIAN, Paul
Misterioso, 1986
Monk In Motian, 1988
Paul Motian And The Electric Bebop Band, 1992

THOMAS, Gary
Till We Have Faces, 1992
Overkill [Murder In The -1st- Worst Degree], 1995

WILSON, Cassandra
Blue Sky, 1988
She Who Sleeps, 1990
Live, 1991
Blue Light ‘Til Down, 1993


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B. Les années ‘90 :
l’“Acid jazz”, le “Trip hop jazz”
et ... la continuation des mouvements des années 70 et 80 !
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1. L’Acid Jazz
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L’Acid jazz s’est développé vers la fin des années ‘80, notamment grâce aux labels Acid Jazz Records et Talkin Loud.
De quoi s’agissait-il ? En tout cas rien qui corresponde au terme “acid”. Quoi de plus sage, en effet, que l’acid jazz ? Fortement influencé par le cool jazz de la seconde moitié des années ‘50, plus encore par le jazz modal ainsi que le jazz-rock des années ‘60 et même le jazz latin d’Amérique centrale et du Sud, il hérite de ces derniers les rythmiques binaires (absence de swing, dit “ternaire”). Ce faisant, l’Acid jazz s’engage sur la voie du “groove” (qui remplace la notion de swing et se développe, dès l’apparition du Rhythm and blues dans les années ‘50, pour se poursuivre à travers la Soul music, le Funk, et bien entendu le Hip hop, le Rap...). Les jazzmen Donald Byrd, Ramsey Lewis, Lou Donaldson, Herbie Hancock, etc. influencèrent (sans intention délibérée) le développement de l’Acid. Les sources de l’Acid jazz sont bien représentées par les cd
Blue Break Beats et The Roots Of Acid Jazz.
L’Acid jazz apparaît et se définit de différentes manières selon qu’il est joué par des bands ou des combos typiquement jazz quant à l’instrumentation (The James Taylor Quartet, The Beaujolais Band, Snowboy and the Latin Section, Corduroy, Ulf Sandberg Quartet, Jazz Renegades, Maceo Parker), ou qu’au contraire, plus récemment, il se crée avec l’assistance d’instruments électroniques - séquenceurs, échantillonneurs - (Ronny Jordan, Buckshot Lefonque). Dans l’un et l’autre cas, il peut y avoir intervention de chanteurs ou de rappers (Brand New Heavies, Galliano, Skunhour, Brooklyn Funk Essentials, anthologies The Rebirth of the Cool et Jazzmatazz).

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Références Discographiques
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THE BEAUJOLAIS BAND
Mind How You Go, 1989-1990
Talk Talk And More Talk, 1993

THE BRAND NEW HEAVIES
Original Flava, 1988-1990
The Brand New Heavies, 1990
Brother Sister, 1994

BUCKSHOT LeFONQUE
Buckshot Lefonque, 1994

CORDUROY
High Havoc, 1993
Out Of Here, 1994

DAVIS, Miles
Doo - Bop, 1991

DIRECTIONS IN GROOVE
Dig Deeper, 1993
Speakeasy, 1995

DOUBLE VISION
Double Vision

LOST TRIBE
Soulfish, 1994

MACEO PARKER
Roots Revisited, 1990
Mo’ Roots, 1991
Life On The Planet Grove, 1992
Southern Exposure, 1993

NIGHT TRAINS
Miles Away, 1994

SNOWBOY AND THE LATIN SECTION
Ritmo Snowbo, 1986-1989
Descarga Mabito, 1991

US3
Hand On The Torch, 1993


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2. Ambient jazz, Techno jazz, Hypno jazz, Trip hop jazz ?
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Depuis 1993, alors que l’Acid jazz, à son apogée, ne peut que décliner, un style nouveau s’installe, à l’initiative de musiciens beaucoup moins “jazzmen” que ceux de l’acid jazz, utilisant abondamment le système de “boucles” générées par les séquenceurs et échantillonneurs (samplers). Il s’agit de “polarisations” sur des courtes phrases de basse et/ou quelques accords soutenus par une batterie (éventuellement repiqués d’un disque, c’est-à-dire samplés - pour parler “franglais”).
On peut écouter les sources originales de ces samplings grâce au cd
Straight No Chaser, sous-titré The Most Sampled Songs From The Vaults Of Blue Note.
Sur ce “groove”, des ajouts sont faits, qui souvent ne sont pas des solos ou “choruses” de jazz, mais au contraire des éléments issus du langage jazz, distillés sans excès au long du morceau, joués pour la circonstance par des musiciens ou repiqués de disques. La “boucle” de base devient en quelque sorte un “cliché” qui peut provenir de formes aussi variées que le Reggae, le Hip hop, le Trip hop, ou même le Rhythm and blues... Forcément, le Trip hop jazz est extrêmement répétitif et minimaliste, la réussite du morceau reposant sur la qualité du groove et le rapport de celui-ci avec les éléments ajoutés. On sent la “patte” des DJ (disc jockeys), dont le sport musical favori consiste à juxtaposer à une musique tournant sur une platine des éléments musicaux issus d’un autre disque tournant sur une deuxième platine. Certaines compositions (recompositions ?) sont associées de lignes vocales ou simplement de quelques mots chantés.

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Références Discographiques
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DJ FOOD
A Recipe For Disaster, 1995
Refried Food, 1995

DJ KRUSH
Strictly Turntablized, 1994
Krush, 1995
A Whim, 1995
Meiso, 1995
Meiso [The Remixes], 1996

DJ SHADOW
Entroducing, 1994-1996
What Does Your Soul Look Like ?, 1995
Midnight In A Perfect World, 1996

FUNKI PORCINI
Hed Phone Sex, 1995
Love, Pussycats And Carwrecks, 1996

MONEY MARK
Mark’s Keyboard Repairs, 1995
Third Version E.p., 1996

SAM SEVER
What’s That Sound ?, 1995


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3. En guise de conclusion
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En guise de conclusion à ce dernier chapitre, consacré au Trip hop jazz (lieu de tous les clichés, suite à la répétition délibérée d’ingrédients empruntés au jazz), il faut citer Joachim-Ernst Berendt, auteur d’un ouvrage intitulé “Le grand livre du jazz”. Berendt, qui écrit en 1986, tente une prospective :
Permettez-moi cette affirmation audacieuse : le jazz des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix devra créer de nouveaux clichés. L’emploi par les critiques du terme “cliché” dans un sens exclusivement négatif a fait beaucoup de tort au jazz ; en effet une musique vitale, communicative est impossible sans clichés. Songez à cela : c’est presque toujours le cliché qui crée l’émotion. Une musique dépourvue de certains termes que nous connaissons dans d’autres contextes, de phrasés familiers, de structures rencontrées maintes fois dans des harmonies ou des sonorités similaires et auxquels nous avons associé (de manière consciente ou non) certains processus émotionnels - une musique dépourvue de tout cela ne peut être adoptée ni ressentie.
Il convient que nous précisions ce que nous entendons par “cliché”. Il est certain qu’il y aura toujours des clichés dans le sens négatif du terme, et nous devrons les reconnaître pour ce qu’ils sont. Il faudra éviter et condamner les simples répétitions trop évidentes, mécaniques, automatiques - comme celles que l’on rencontre dans les clichés du jazz fusion. L’erreur commise par les critiques, et de manière plus générale par la conscience jazz, au cours des vingt dernières années fut de considérer que tout ce qui existait auparavant relevait du cliché.
Après avoir détruit les clichés pendant vingt ans [i.e. le Free jazz des années ‘60 et ‘70], nous prenons brusquement consience du fait qu’il ne nous reste - je ne veux pas dire “rien” mais presque rien. Herbie Hancock dit : “C’était comme si vous deviez constamment employer des mots qui n’avaient jamais été utilisés auparavant
”.

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Bibliographie
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La bibliographie de base ci-dessous permettra aux curieux et passionnés d’approfondir leurs connaissances.

---Bibliographie succincte
(Ouvrages écrits ou traduits en français, mais il existe de nombreux et excellents livres en anglais)

FORDHAM, John, Les sons du jazz, Grund, 1990
FORDHAM, John, Jazz, préface de Sonny Rollins, 1993
MALSON, Lucien, Histoire du jazz, Seuil/Solfèges, 1976, mise à jour en 1994
BIBERBOST, Marc & CERUTTI Gustave, Le guide Marabout de la musique et du disque de jazz, Marabout 1981
Les grands créateurs de jazz, 1989, Bordas
MALSON, Lucien, Les maîtres du jazz, PUF/Que Sais-je ?, 1972
MALSON, Lucien & BELLEST, Christian, Le jazz, PUF/Que Sais-je ?, 1987, troisième édition 1992
BERENDT, Joachim-Ernst, Le grand livre du jazz, Rocher 1986
BAUDOUIN Philippe, Jazz mode d’emploi, Collections Théories/Editions Outre-Meuse, 1992
JALARD, Michel-Claude, Le jazz est-il encore possible ?, Parenthèses/Epistrophy, 1986
(nombreux autres livres consacrés au jazz dans la même collection)

On trouvera aussi chez les libraires de nombreux ouvrages consacrés à des musiciens de jazz en particulier (monographies).


---Guides discographiques
(outre les guides Akai etc, bien connus)
COOK, Richard & MORTON, Brian, The Penguin guide to jazz on CD, on LP and Cassette, Penguin 1994

---Quelques CD-ROM
La légende du jazz
Louis Armstrong
Count Basie
Billie Holiday
Portrait de jazz, (galerie de photos avec accompagnement musical)

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